Une exposition fréquente à des décibels élevés peut rendre sourd. Elle peut surtout créer un bruit de fond permanent et spécialement agaçant.
Phil Collins en souffre au point d’envisager régulièrement sa retraite. Sting suit tous les traitements imaginables. Pete Towsend, légendaire guitariste-compositeur de The Who, ne les supporte plus depuis la fin des années 70. De quoi s’agit-il? Des acouphènes bien sûr, ces bruits incessants qui empoisonnent la vie de leurs victimes. Sifflement ou bourdonnement, les acouphènes bruissent constamment aux oreilles des patients, qui, pour certains, en deviennent fou. L’origine de ce mal? Une exposition fréquente à des décibels élevés. … Petit rappel des conséquences possibles d’une musique jouée trop fort.
Les premières victimes des lésions auditives sont les professionnels. Mais croire que seuls les rockers sont touchés serait une grave erreur: la plupart des musiciens qui consultent sont issus du classique. Ce que révèle Jean-Philippe Guyot, chef de l’unité ORL des Hôpitaux Universitaires de Genève: « Je vois beaucoup plus de plaintes de musiciens d’orchestre classique que de rock. Les violonistes et les bois qui sont coincés dans l’espace confiné de la fosse ont de vraies lésions auditives. »
Et leurs auditeurs? Certes notre siècle n’est pas plus bruyant que le précédent. Certes, les législations en vigueur tendent à limiter le bruit dans la mesure du possible. Mais le son d’un concert s’est profondément modifié en quelques décennies: depuis les années 60, il n’a eu de cesse d’être amplifié électroniquement, diffusé par des enceintes toujours plus puissantes: » Les jeunes qui assistent à leurs premiers concerts s’habituent au niveau surélevé de la musique et se disent que c’est bon comme ça, tonne Sylvain Barrault, spécialiste ORL. Trop de personnes s’imaginent que, parce qu’elles suportent 105 dB, leur oreille s’est formée et adaptée à supporter de telles sources sonores. C’est de la folie pure. »
SÉQUELLES PRÉCOCES. Les médecins ORL se rejoignent tous pour affirmer que les lésions auditives sont le fruit d’une exposition trop longue à une source sonore trop intense. « Le décibel(dB) est une unité de mesure logarithmique » souligne Martine Ohresser, fondatrice du Centre d’exploration fonctionnelle otoneurologique à Paris et auteur de Bourdonnements et sifflements d’oreille. L’intensité du son ne double pas entre 25 et 50dB, comme nous aurions tendance à le croire, mais tous les 3dB. Il peut se révéler, selon le temps d’exposition, dangereux à partir de 85dB, mais la douleur n’apparaît qu’après les 100 ou 105dB. « Vous imaginez la large échelle d’intensité sonore pouvant laisser des séquelles sur nos oreilles sans même que nous nous en rendions compte! » relève la spécialiste. Ces séquelles sont donc de plus en plus fréquentes, et surtout précoces. Première d’entre elles, la surdité. « La majorité des jeunes fréquentant assidûment les concerts ou les boîtes de nuit devrait être appareillés très tôt, vers 40 ans. C’est trente années de santé auditive perdues sur une époque où l’on appareillait des patients âgés de 70 ans. », souligne Sylvain Barrault.
Autre conséquence possible, les acouphènes, cette « sensation sonore perçue dans l’oreille ou dans la tête alors qu’il n’y a pas de son extérieur », selon la définition donnée par Martine Ohresser. Quelque 15 à 20% de la population en souffrent au point de consulter. Pourquoi? Parce que les acouphènes ne deviennent une vraie souffrance que sur un terrain psychologique propice. » La question centrale est de savoir ce que le cerveau va faire de cette information générée par le système auditif ».
AUCUNE CURE. C’est ici que se creusent les différences. Si l’on est anxieux, dans une période de vie marquée par le stress ou la tension, le cerveau va se fixer sur cette sonorité. L’acouphène peut devenir dès lors totalement envahissant, au point que certains cas extrêmes envisagent le suicide. Ce que confirme Raphaël Maire, du CHUV à Lausanne: « Un acouphène ne crée pas de dépression. C’est une interrelation. L’acouphène agit sur un trouble anxieux qui agit sur l’acouphène. On ne peut pas les dissocier. Mais si le patient n’a pas de trait de personnalité particulier, l’acouphène en tant que tel ne va pas développer ou créer un état dépressif. Il y a forcément un terrain initial. »
La solution? L’habituation. Permettre au patient d’accepter l’acouphène, de le considérer comme partie intégrante de son organisme. Car il n’existe aucune cure. « Pour les acouphènes chroniques, on utilise la Tinnitus Retraining Therapy, la thérapie auditive d’habituation. Il s’agit de proposer au patient des appareils qui vont généner un « deuxième acouphène », un bruit blanc comme une chute d’eau, qui va stimuler l’oreille. Le principe est de mettre en compétition ce son et l’acouphène pour que le cerveau se focalise sur le son le moins irritant. « On utilise également la thérapie cognitivo-comportementale, un type de psychothérapie qui vise à modifier de manière consciente le comportement du patient », précise Raphaël Maire.
L’acouphène ne se guérit donc pas, il s’apprivoise tout au plus. Alors, la seule vraie solution consiste à se protéger les oreilles…
Article de jean-Baptiste Méchernane (Hebdo du 20 juillet 2006)